Une nuit d'été dans les montagnes. Dans le ciel nocturne sans lune, la mer d'étoiles semble infinie, la voie lactée est clairement visible. De retour en ville, des milliers de sources lumineuses éclairent la nuit, les étoiles sont à peine visibles dans le ciel. Le fait d’être privé de l’expérience du ciel étoilé est une chose. Mais ce qui est plus dramatique, c'est que cette pollution de la nuit par la lumière artificielle a un impact négatif sur la flore, la faune et les écosystèmes. La pollution lumineuse est un problème mondial Regarder le ciel nocturne constellé d'étoiles n'est pas un « nice to have ». L'obscurité nocturne en tant que ressource naturelle se fait de plus en plus rare et la pollution lumineuse nocturne – soit l’utilisation massive et excessive de lumière artificielle - croissante est désormais un problème écologique mondial. 80% de la population mondiale vit avec un ciel pollué par la lumière ! © Fabio Bontadina / swild.ch La lumière artificielle nocturne peut porter atteinte à des écosystèmes entiers. Les conséquences écologiques englobent un large éventail d'espèces, de communautés et d'écosystèmes, tant sur terre que dans l'eau. La pollution lumineuse constitue donc une menace potentielle pour la biodiversité. La lumière artificielle nocturne peut atteindre 150 lux dans les villes, ce qui est 1000 fois plus lumineux qu'une nuit claire de pleine lune. De plus, la lumière artificielle a un spectre différent de celui de la lumière naturelle. D'un point de vue évolutif, la pollution lumineuse représente un nouveau facteur de stress pour de nombreuses espèces animales et végétales. Ces dernières années, les autorités ont également pris conscience de ce problème écologique. La ville de Lausanne, par exemple, a poursuivi le développement de son « Plan Lumière », grâce auquel la lumière nocturne est utilisée de manière raisonnée afin de garantir une trame noire. En ville de Neuchâtel, l’extinction nocturne de l’éclairage public est un fait entre minuit et 5h du matin depuis 2023, dans le Val-de-Ruz même depuis 2019. L'Office fédéral de l'environnement a publié dès 2005 une brochure contenant des recommandations sur la manière d'éviter les émissions lumineuses. Pourtant, l’éclairage nocturne est encore utilisé de manière abusive. Le non-sens de cette pratique est particulièrement visible, quant au lieu de n’éclairer qu’une entrée de maison, la lumière envahie les alentours aussi (on parle de lumière intrusive). Souvent, la lumière est si vive que tout le reste est noyé dans le noir, ce qui ne contribue pas au sentiment de sécurité. L'argument de sécurité en faveur de l'éclairage nocturne se retourne alors ironiquement contre soi-même. © Fabio Bontadina / swild.ch Les alentours disparaissent dans l'obscurité. Un biorythme vital Tous les organismes, c'est-à-dire les bactéries, les algues, les champignons, les plantes, les animaux et bien sûr l'homme, se sont adaptés au cours de l'évolution à l'alternance jour/nuit. Le rythme circadien est une sorte d’horloge interne sur lequel se base le corps pour savoir le moment de la journée et qui alterne veille et sommeil. Les différentes phases de cette horloge interne sont déclenchées par les variations naturelles de la lumière dans l’environnement. La pollution lumineuse peut donc perturber le rythme circadien. La plupart des animaux et des plantes peuvent adapter leur horloge interne à l'évolution de la longueur du jour au cours de l'année. Cela présente un certain nombre d'avantages écologiques. Par exemple, les animaux peuvent élever leurs petits lorsque les conditions environnementales sont favorables ou les plantes ne fleurissent pas en hiver. © Claudia Kistler / stadtwildtiere.ch Ces lampes extrêmement claires illuminent la moitié de la nuit, éblouissent désagréablement et rayonnent fortement dans l'environnement. Un sommeil réparateur - pour autant qu'il fasse nuit! La mélatonine, l'hormone du sommeil, est la composante-clé de ce système qui « donne l’heure ». Omniprésente, elle a une influence sur de nombreuses autres hormones. Elle est présente chez les animaux et les plantes et développe son action centrale depuis la cellule jusqu'aux organes et au comportement. Chez les animaux, c'est la glande pinéale, une glande de la taille d'un petit pois située au centre du cerveau, qui est responsable de sa production. Une faible luminosité peut déjà perturber sa production, avec les conséquences que cela implique. En effet, la mélatonine protège le système cardiovasculaire, stabilise le rythme biologique du corps et permet le cycle nocturne de repos et de réparation. © Fabio Bontadina / swild.ch Les lumières claires empêchent un sommeil reposant. Outre les effets sur la santé, les éclairages nocturnes ont toute une série de conséquences écologiques. Ils peuvent fragmenter l'habitat des animaux, limiter leur rayon d'action et donc l'acquisition de nourriture ou empêcher une reproduction réussie. Le risque d'être dévoré peut également augmenter, ce qui, à l'inverse, est bien sûr un avantage pour le prédateur. Les pipistrelles (Pipistrellus pipistrellus) aiment chasser le long des routes éclairées, car de nombreux insectes y sont attirés par la lumière. D'autres espèces de chauves-souris, comme le petit rhinolophe (Rhinolophus hipposideros), très menacé, évitent en revanche les zones lumineuses. Le ver luisant attend en vain La disparition des insectes et le rôle dévastateur joué par les produits phytosanitaires utilisés dans l'agriculture sont fréquemment dans les médias. Pour de nombreux insectes nocturnes, la pollution lumineuse vient s'ajouter à ces problèmes. Qui n'a pas observé, lors du repas du soir, les innombrables insectes qui volent, impuissants, autour de la lampe. Au lieu de chercher de la nourriture, de s'accoupler ou de pondre des œufs, ils gaspillent leurs réserves d'énergie à rester captivé par les lampes. © Albert Krebs / ETH Ce sphinx du pin fait du vol stationnaire pour butiner une saponaire Les vers luisants, avec leurs lueurs magiques, ne passent pas inaperçus, la nuit. Pourtant ils passent la plus grande partie de leur vie dans un stade larvaire discret. La reproduction n’a lieu que durant une courte phase, à l'âge adulte. Chez le grand ver luisant (Lampyris noctiluca), les femelles choisissent les lieux d'accouplement pendant la journée et attirent les mâles la nuit grâce à leur lueur caractéristique. Toutefois, si les femelles sont posées à proximité d'un lampadaire lumineux, elles sont à peine visibles pour les mâles, qui ont en outre tendance à éviter les zones lumineuses. Comme les vers luisants meurent au bout de peu de temps, l'accouplement et la reproduction ne se produisent pas. Une impasse fatale ! © Lisa Wirthner / stadtwildtiere.ch Le lampyre a besoin de conditions sombres, pour que les femelles lumineuses soient visibles pour les mâles. Les effets négatifs de la lumière artificielle ont été documentés chez de nombreuses espèces animales. Des milliers d'oiseaux ne parviennent plus à sortir des halos lumineux (skyglow ou rougeoiement du ciel ou encore halos urbains), qui se forment lorsque la lumière artificielle se reflète sur les nuages bas, le brouillard ou la brume. Prisonniers de cette sphère lumineuse, ils perdent leurs précieuses réserves d'énergie. Finalement, ils meurent d'épuisement, entrent en collision avec des structures ou même avec d'autres oiseaux attirés par la lumière. © Stijlfoto / flickr.com Le halo lumineux (skyglow en anglais) est produit par la lumière qui se diffuse dans l'atmosphère et est visible sur de longues distances. Toutes les espèces sont concernées Les effets négatifs de la lumière nocturne ont été étudiés chez de nombreuses espèces animales, y compris les amphibiens et les reptiles. Pour eux, une route éclairée peut rapidement devenir une barrière qui entrave la connectivité des habitats. Dans une étude récente, des perches (Perca fluviatilis) ont été exposées à la lumière artificielle. Même avec une faible intensité lumineuse de 0,01 ou 0,1 lux, la production de mélatonine était réduite. Ce sont les conditions d'éclairage qui prévalent lorsque des halos urbains se forment dans les zones d'habitation. © Daniel Hegglin /swild.ch Les poissons, comme la perche commune, souffrent également de la pollution lumineuse. La ressource "obscurité" doit être protégée! L'augmentation de la pollution lumineuse constitue une menace pour la santé et la biodiversité. L'obscurité nocturne est une ressource naturelle importante. Nous devons la protéger et nous demander si l'éclairage nocturne est vraiment toujours nécessaire. Dans le Val-de-Ruz, dans le Jura neuchâtelois, l'éclairage public est éteint la nuit et le parc naturel de Gantrisch est devenu le premier Dark Sky Park de Suisse. La prise de conscience est donc croissante. Le projet "Nuit vivante" de VilleNature sur l'influence de la lumière artificielle L'association VilleNature souhaite également aborder le thème de la pollution lumineuse et attirer l'attention sur l'effet néfaste de la lumière artificielle sur de nombreuses espèces d'animaux sauvages et sur son énorme importance pour la biodiversité des animaux sauvages. C'est pourquoi l'association prévoit un projet de science citoyenne « Nuit vivante » à l'échelle nationale. Avec le programme prioritaire « Nuit vivante », nous voulons : 1. faire découvrir les espèces animales nocturnes et les faire prendre conscience à la population. 2. informer la population sur les effets nocifs sur la biodiversité de la lumière artificielle. 3. communiquer des mesures de protection simples et montrer comment chacun(e) peut contribuer à la préservation de l'obscurité. Le lancement du projet est prévu pour cet automne 2024. Plus d'informations Plan Lumière de la ville de LausanneProgramme d’extinctions nocturnes de la ville de NeuchâtelBrochure « Recommandations pour la prévention des émissions lumineuses ». Office fédéral de l'environnement OFEV 2021.Darksky Switzerland est une organisation à but non lucratif qui s'engage pour la réduction de la pollution lumineuse.Retrouver la nuit - Magazine « Environnement » - Retrouver la nuit, 3/2022, OFEVEffets de la lumière durant la nuit, page internet de l’OFEV